Les salles de concerts du Valais poursuivent leur programmation musicale 24-25. Elles vous proposent un joli voyage entre différents styles musicaux, tout en vous offrant la possibilité d'écouter...
Eva-Maria Pfaffen © Christian Pfammatter
Soyons honnête. Si vous recensez les artistes valaisannes du domaine des arts visuels, le nom d’Eva Maria Pfaffen ne vous vient pas immédiatement à l’esprit. Mais pourquoi?
Une douce lumière plonge directement des hautes fenêtres jusque dans l’atelier lucernois d’Eva-Maria Pfaffen. Des bandes de papier suspendues au plafond se meuvent sans bruit, bercées par les courants d’air. Des objets sculptés inspirés de la nature attendent, serrés les uns à côté des autres, d’être révélés lors de la prochaine exposition à Wil dans le canton de Saint-Gall. Beaucoup de blanc, de choses légères ou translucides. Et au cœur de tout cela, Eva-Maria Pfaffen vêtue d’habits haut en couleurs. Ce n’est pas le seul contraste observable ici. Face à ces délicates œuvres d’art se dresse une femme forte, capable, on en a conscience, de remonter ses manches de chemise et de se mettre à la tâche. Mais aujourd’hui, elle laisse cette activité physique de côté, nous sommes là pour parler. Parler de sa carrière, de son art et de ses origines.
Eva-Maria Pfaffen a grandi à Ausserberg. Ses parents ont dirigé une modeste exploitation agricole comme activité secondaire. Des expériences et impressions sensorielles vécues durant son enfance se retrouvent dans son art. Les origines, le vrai, tout ça interpelle l’artiste. Elle révèle les teintes du passé à la lueur des temps modernes, les fait perdurer, comme une impression floue ou une envie. Seules quelques traces du passé subsistent dans ses travaux. « On ne trouve aucun objet de la campagne dans mon travail » nous explique cette femme âgée de 54 ans. Elle offre, aux gens qui contemplent ses œuvres, des empruntes campagnardes ou matériaux qui n’avaient qu’une fonction secondaire à l’époque. Loin des clichés que véhicule le kitsch d’une nature préservée, Eva-Maria Pfaffen construit une passerelle entre ces deux mondes, ces deux époques. Elle ramène des objets qui ont pâli avec le temps, ont perdu de leur sens, à une époque où le vrai devient rare, avec tout que l’on jette et remplace. On pourrait dire qu’elle agi en « Hirtu » (N.d.T action du berger qui soigne et fait avancer les choses), nourrissant et cultivant ses impressions pour ensuite les faire évoluer.
Eva-Maria Pfaffen parle de manière simple et claire de son art. En l’écoutant, il ne fait aucun doute que ces propos si précis sont le résultat de réflexions affutées avec le temps. Ses œuvres, elles, ne sont pas prévues pour durer. Elle ne les collectionne pas. « Je crée la plupart du temps mes installations pour une durée définie et pour un endroit bien précis » dit l’artiste. Ainsi sont nées « Gletschermilch » et « Laufender Hund », œuvres installées dans les gorges de Twingi dans le cadre d’un projet Land art. Tout comme les 80 kougelhopf en terre cuite agencés dans l’ancien « Werkhof » à Brigue. Pour l’exposition « mehlweiss & strohgelb » proposée à la Kornschütte de l’Hôtel de ville à Lucerne, l’artiste a installé 1'800 sacs de céréales ouverts dans une salle et construit une installation en paille de seigle du Valais dont les dimensions s’adaptaient au dallage du sol. Grâce à sa sensibilité des pièces et des lieux, elle tend à développer un art sur mesure. Des œuvres qui fleurent bon l’éphémère, subtilement adaptées au moment présent, mais qu’on ne peut guère acheter, ce que regrette Eva-Maria Pfaffen. Une activité à temps partiel comme enseignante à la Kunsthochschule de Lucerne lui permet de garder une liberté artistique. « Comme ça, je n’ai pas à flirter avec les prix de vente. Je peux laisser libre court à mon imagination, sans devoir adapter mon travail au marché de l’art. » Par contre, le public compte beaucoup à ses yeux. « Celui qui est passionné d’art souhaite être vu et provoquer un déclic auprès des visiteurs. »
On se demande pourquoi l’expatriée lucernoise, si attachée artistiquement au Valais, n’est pas restée sur ses terres d’origine ? L’artiste fait un geste de récusation de la main. « Il était important pour moi de quitter Ausserberg. Si j’étais restée, je ne serai jamais devenue artiste. Il me fallait de la distance, absolument, » dit-elle convaincue. Par cet exil et ce recul, l’artiste a trouvé un autre accès à ses racines, confrontant. Elle a fait le choix, via son art, de nourrir la flamme du présent plutôt que de contempler les cendres du passé avec ferveur et regret. Une invitation à réfléchir à notre rapport aux traditions, et ce même en Valais.
Parution: juillet 2018
Texte: Nathalie Benelli
Photos: © Christian Pfammatter
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